• Un dimanche traditionnel (suite) - Baigneuses du soir - Comment j'ai porté le foulard.

    Nous voilà donc, le ventre plein, de retour à l'appartement, où nous prenons le matériel nécessaire -seau, écopes, serviettes- pour aller aux bains maures -ou turcs, à chacun sa tête de-.

    Ceux là sont des bains municipaux, 7,5 dh l'entrée, donc très populaires. A droite, les femmes, à gauche; les hommes. Un solide mur sépare les deux parties, bien entendu.

     A l'intérieur, l'air est chaud et moite, dès le vestiaire. Des vieilles femmes en sorte de pyjama ou torse nu devisent, des enfants à leurs pieds, braillent. Les femmes se déshabillent et se rhabillent dans une impudeur totale, à l'exception de notre jeune colocataire qui est terrorisée à l'idée d'enlever son maillot de corps. Elle vient d'Oujda, une ville située au nord-est du pays, juste à la frontière algérienne et vient pour la première fois de sa vie dans une grande ville. Nous arrivons à la convaincre en lui montrant l'indifférence des clientes, de se déshabiller. Et c'est en culotte et en soutien-gorge qu'elle nous suit à l'intérieur.

    C'est un hammam classique et minimaliste : une succession de pièces carrelées, au plafond bas, faiblement éclairées, munies de nombreux robinets d'eau chaude. Il faut remplir son seau et aller s'installer. Des dizaines de femmes nues, accroupies sur des marchepieds en platique ou assises sur des tapis de bain, partout le long des murs, se frottent, se savonnent. Toutes les générations sont là, de la petite fillette à la grand-mère. Ma voisine me fait de la place, m'invite gentiment à s'asseoir à ses côtés, tandis qu'une vieille cinglée braille et ne veut pas laisser une des baigneuses se servir à "son" robinet.

    C'est un ballet de mamelles pendantes, de jambes poilues et de chairs plus ou moins flasques. Devant le spectacle de ces femelles, si décomplexées et naturelles, pataugeant et se récurant la peau du dos dans une chaleur asphyxiante, j'hésite entre la fascination et le dégoût.

    Je regarde par terre et c'est une erreur : pansements, morceaux de plastique et touffes de cheveux flottent sur le sol. J'écope et m'asperge généreusement pour ne plus y penser. L'odeur d'humidité commence à m'écoeurer.

    Au bout d'une heure, bien délassées et la peau soigneusement gommée, nous sortons. Ma logeuse refuse que je sorte la tête nue. C'est qu'il doit faire 10°C au maximum ce soir. Comme je refuse la serviette qu'elle me tend, elle me propose un foulard blanc. J'avoue que l'idée de porter, moi aussi, le hijab, est un fantasme qui me hante depuis mon arrivée.

    Une femme, s'amuse de mes difficultés à le mettre et s'empare du foulard, me le pose et le noue bien serré autour du cou. La couleur ne me va pas  et cela arrondit encore mon visage qui prend un aspect lunaire. Mais l'expérience m'amuse et je me sens bien, ainsi acceptée, ainsi des leurs.

    Il y a aussi le confort de se soustraire un instant au pesant regard masculin. Dans ce quartier populaire, une femme se fait régulièrement aborder, interpeller, harceler par les hommes. Mais, à la faveur de cette expérience, je me demande si, par un glissement pervers bien légitime, certains hommes ne trouveraient pas au contraire plus d'excitation à deviner, sous les formes amples de la djellaba, la courbe d'une hanche ou, accrochant un regard d'une façon d'autant plus certaine qu'il tente de se dérober, à imaginer le parfum d'une chevelure voilée.

    Une fois rentrée, je suis tout de même soulagée de me débarasser de mon hijab qui me serre et me tient chaud. Moi qui ai du mal à laisser pousser mes cheveux, je m'imagine mal supporter d'avoir la tête recouverte. Expérience peu concluante pour moi. Que mes amis se rassurent, je ne me promènerai pas voilée de sitôt !



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